Le 4 août 2020, une gigantesque explosion sur le port de Beyrouth dévastait la ville. Deux ans après, "la ville a pansé ses plaies les plus visibles mais le traumatisme est surtout psychologique", estime Sibylle Rizk.
"L'Etat est complètement défaillant et aucune responsabilité n'a été établie", s'est insurgée Sibylle Rizk, mercredi 3 août sur franceinfo, deux ans après l’explosion sur le port de Beyrouth au Liban. La directrice des politiques publiques de l'ONG Kulluna Irada explique que "beaucoup de gens n'ont pas encore pu rentrer chez eux parce qu'ils n'ont pas eu les moyens de réparer seuls leur logement".
Sibylle Rizk : Oui. J'ai eu la chance de ne pas être victime personnellement mais cette nuit a été terrible. J'étais au téléphone avec mon fils qui était tout proche de l'explosion et le monde s'est littéralement écroulé sur nos têtes.
Au départ on a cru que c'était un séisme mais on a très vite compris l'ampleur de la catastrophe. Dans la panique organisée, parce que les Libanais ont des réflexes, ils ont vécu des attentats, des guerres, on a tout de suite compris l'ampleur des dégâts. Il y avait du sang, des débris de verre, les hôpitaux étaient bondés. Donc bien sûr cela reste une journée traumatisante même pour moi qui n'est pas été victime personnellement.
Reste-t-il des traces visibles dans la ville ?
Oui il y a encore des stigmates physiques mais l'essentiel des habitations a été réparé en tout cas de l'extérieur, les façades. La ville a pansé ses plaies les plus visibles mais le traumatisme est surtout psychologique. Justice n'a toujours pas été faite. Beaucoup de gens n'ont pas encore pu rentrer chez eux parce qu'ils n'ont pas eu les moyens de réparer seuls leur logement. L'Etat est complètement défaillant.
Il y a quelques jours des silos à grain se sont effondrés sur le port de Beyrouth alors qu'ils devaient être détruits. Est-ce que cela montre que l'on n'a pas réussi à tout réparer ?
Oui ces silos sont un symbole de l'inefficacité et du manque de confiance totale de la population dans les pouvoirs publics. Ils sont incapables de gérer la crise mais aussi de donner des réparations aux victimes et de rendre justice. Aucune responsabilité n'a été établie dans cette catastrophe d'une ampleur mondiale. C'est la troisième catastrophe non nucléaire de l'histoire de l'humanité et on ne sait toujours pas ce qui s'est passé.
L'enquête a été suspendue. Vous réclamez une enquête internationale. Vous y croyez encore ?
Il faut que justice soit faite, que la justice libanaise puisse reprendre son cours parce que c'est le seul moyen de rétablir les fonctions essentielles d'un Etat. L'aide de la justice internationale est nécessaire vu les blocages, c'est un moyen de pression extérieur. Malheureusement cela ne se passe pas pour des raisons que l'on ignore. L'essentiel du problème vient du Liban.
Cela fait sept mois que le juge chargé de l'enquête est entravé. Il y a une manœuvre de procédure qui a été tentée par les ministres et députés inculpés. Elle aboutit à un recours en récusation du juge qui doit être examiné par la cour de cassation, mais cette cour ne peut pas se réunir parce qu'un décret de nomination est bloqué par le gouvernement.
Comment vont les Libanais aujourd'hui ?
Très mal parce qu'on vit dans un régime d'impunité qui prévaut depuis la fin de la guerre civile. Les pouvoirs publics ont géré l'État libanais juste pour se répartir des prêts et cela a abouti à une catastrophe financière inégalée. On a une multiplicité de traumatismes et personnes pour rendre des comptes.
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